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Imposition individuelle: vers un référendum?

Jean-Hugues Busslinger
La Nation n° 2282 27 juin 2025

C’est peu dire que le sujet divise. Depuis près de 40 ans, la jurisprudence du Tribunal fédéral exige que les couples mariés ne soient plus discriminés fiscalement par rapport aux couples de concubins. Si les Cantons ont depuis adapté leur système fiscal pour «entrer dans les clous» et réduire autant que possible cette inégalité de traitement, par la mise en œuvre de systèmes de splitting, l’impôt fédéral direct (IFD) n’a pas corrigé la situation.

Sous la pression de groupes et de partis prônant une vision toujours plus individualiste de la société, la solution de l’imposition individuelle, où chacun des conjoints doit effectuer sa propre déclaration, a fait l’objet de débats nourris aux Chambres fédérales et a fini par s’imposer de justesse, par quelques voix d’écart tant au Conseil national qu’au Conseil des Etats. Se sont prononcés pour l’imposition individuelle: la gauche et le PLR. Contre: l’UDC et le Centre.

 

Des obstacles non négligeables

Présentée comme une concrétisation ultime et essentielle du principe d’égalité entre sexes, cette réforme fondamentale du mode d’imposition suscite cependant de profondes réserves. Tout d’abord parce qu’elle impose aux Cantons et aux communes d’adopter le système de l’IFD dans un délai de 10 ans. C’est dire que les Cantons, qui ont fait leur devoir et introduit des systèmes de splitting, devront modifier leur mode d’imposition, tandis que le Canton de Vaud devra renoncer à son système de quotient familial, pourtant le plus égalitaire de tous puisqu’il tient compte de la présence d’enfants dans la communauté familiale et adapte le taux en fonction. Le gigantesque chantier législatif qui menace de s’ouvrir prendra des années et l’on peut douter que les débats se déroulent sereinement. La gauche voudra faire payer les riches et les entreprises, augmenter la redistribution par le biais de l’impôt et favoriser les déductions sociales. La droite tentera de s’y opposer et de maintenir une fiscalité raisonnable. On entrera ainsi dans une longue période d’incertitudes, ce qui est rarement favorable à la prospérité générale.

De surcroît, le passage à l’imposition individuelle aura un coût administratif important: il faudra notamment traiter un million sept cent mille déclarations supplémentaires dont les éléments devront être vérifiés et, cas échéant, confrontés à la déclaration de l’autre conjoint. L’inspecteur fiscal s’invitera ainsi dans l’intimité des familles. On ne pourra faire l’impasse sur les difficultés à cerner revenus et patrimoines, par exemple lorsque le couple exploite une entreprise et que les deux conjoints y travaillent. Les directeurs cantonaux des finances ne s’y trompent pas et une forte majorité d’entre eux est opposée à la réforme (voir l’article d’Olivier Klunge ci-dessous).

Le système est présenté comme égalitaire, mais suscite au contraire de nouvelles inégalités: c’est tout particulièrement le cas des couples mariés qui ne disposent que d’un seul revenu ou lorsque le deuxième revenu du couple est faible par rapport au revenu principal. C’est l’occasion de rappeler quelques principes fondamentaux de la fiscalité, en particulier la neutralité de l’impôt (qui ne doit pas conduire à choisir tel ou tel mode de vie ou tel ou tel mode de travail), l’universalité, l’égalité de traitement et la capacité économique. Sous certains aspects, ce texte heurte les principes d’égalité devant l’impôt et d’imposition selon la capacité économique. L’égalité parfaite n’est pas réalisée entre les couples mariés à revenu unique ou à deux revenus. Enfin, en introduisant l’imposition individuelle, le droit fiscal entre en opposition systémique avec d’autres domaines du droit qui considèrent le mariage comme une communauté économique, notamment pour diverses déductions sociales.

 

Des avantages peu évidents

Hormis l’argument égalitaire, on entend souvent dire, à l’appui de la réforme, qu’elle serait plus favorable à l’exercice d’une double activité professionnelle au sein du couple et inciterait à poursuivre ou à reprendre une activité lucrative durant le mariage. L’argument peut séduire à l’heure où le marché du travail est en surchauffe et où le recours à la main-d’œuvre étrangère suscite des réserves croissantes. L’administration fédérale estime cet effet à un peu moins de 50 000 équivalents plein temps (EPT), une fois que tous les Cantons auront adopté le système. Si ce chiffre paraît imposant, il est à mettre en rapport avec le nombre total d’emplois en Suisse, soit 4,442 millions. Avec environ 1% de l’emploi total, on se trouve dans la marge d’erreur, a fortiori lorsqu’on considère que l’élément fiscal n’est pas le plus déterminant pour poursuivre ou reprendre une activité lucrative, cette décision dépendant aussi des choix personnels du couple, de l’offre en places d’accueil pour les enfants ou du marché du travail lui-même.

On constate donc que le texte n’est pas optimal sur le plan constitutionnel. Il est complexe dès lors que l’on veut prendre en compte la capacité contributive de chacun des époux. Il se révèle coûteux sur le plan du travail supplémentaire induit par le changement de système. Son effet sur l’emploi est objectivement négligeable et, cerise sur le gâteau, il implique le bouleversement complet de l’ensemble des systèmes fiscaux cantonaux. L’élémentaire bon sens conduit à le refuser. Sitôt le vote final aux Chambres effectué, le Centre a annoncé le lancement d’un référendum. La Ligue vaudoise le soutiendra.

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